Les années Lula da Silva : un bilan économique et social

Le bilan des années Lula da Silva (2003-2010) est à bien des égards contradictoires.

Deux fois élus avec plus de 60 % des suffrages sur un programme clairement ancré à gauche, il va malgré tout mener une politique atypique mêlant des éléments de continuité à la politique ultra-libérale initiée par Fernando Henrique Cardoso (1994-2002) tout en innovant une politique sociale d’assistance aux plus démunis d’une redoutable efficacité.

Au plan international, c’est sous sa présidence que le Brésil a finalement su s’imposer comme une véritable puissance incontournable d’un monde multipolaire.

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Le bilan de Lula da Silva c’est :

  • lula128 millions de personnes sortis de la misère.
  • 16 600 000 créations d’emplois formels.
  • 39 millions de Brésiliens qui accèdent à la classe moyenne (52 % de la population en 2010).
  • 62% de hausse du salaire minimum (231 euros en 2010) qui bénéficient à 45 millions de personnes (employés et retraités).
  • 2001-2008 : le revenu des 10 % des plus pauvres a augmenté de 72 % quand celui des 10 % les plus riches a progressé de 11 %.
  • Le Brésil qui passe de la 13e économie mondiale à la 8e en 2010 (la 6e en 2012).
  • lula2La mort du G8 au profit du G20, où le Brésil est un acteur prépondérant et clame sa prétention à obtenir un siège au Conseil de Sécurité des Nations Unies (avec notamment le soutien explicite de la France).
  • Un pays surendetté qui devient créancier des Instituions Financières Internationales.

En 2010, 80 % des Brésiliens avaient une opinion favorable ou très favorable de la présidence de Lula.

Je me souviens très bien des souhaits de la grand-mère d’un de mes bons amis brésiliens qui me dit, très sérieusement, qu’elle n’avait plus que deux souhaits pour achever sa vie dans l’allégresse : que Jésus redescende sur Terre et qu’il réinstalle Lula da Silva à la présidence du Brésil !

Dans la région Nordeste, Lula est célébré comme un genre de nouvel apôtre des pauvres.

L’économie du Brésil avant Lula

Pourtant, lorsque Lula da Silva arrive au pouvoir en 2003, les choses s’annonçaient bien mal. Le Brésil d’alors caracolait en tête des pays les plus inégalitaires de la planète, à peine distancé par l’Afrique du Sud. Aussi, en 2003, seul 53 millions de Brésiliens vivaient au-dessus du minimum vital.

80 millions de personnes étaient dans l’incapacité de s’assurer chaque jour une alimentation équivalente à 1900 calories (minimum recommandé par l’OMS) et 119 millions de Brésiliens bénéficiaient d’un revenu inférieur à 100$ par mois.

L’habitat des plus indigents reflétait la misère crasse dans laquelle survivait et survit encore des millions de Brésiliens.

6,5 % de la population vivait ainsi dans des abris de tôle ou de carton et 40 % des brésiliens n’avaient ni accès à l’eau courante, ni accès aux égouts.

80 % des familles rurales n’avaient pas accès à une eau potable de qualité, tout comme 10 % des familles urbaines (un comble pour un pays qui détient 20 % des réserves d’eau douce de la planète!).

L’économie du Brésil et le système électoral

La politique sociale de Lula a d’emblée était conditionnée d’une part par le système électoral brésilien (qui contraint un président, même élu avec plus de 60 % des voix, à élaborer des alliances complexes avec d’autres partis politiques) et d’autre part par une dette de 235 milliards de dollars héritée de la dictature et des braderies réalisées par son prédécesseur, Fernando Henrique Cardoso.

Malgré ses succès électoraux, le PT (Parti des Travailleurs) de Lula da Silva n’a jamais réussi à obtenir plus de 20 % des sièges au Congrès. Comment expliquer cela ? Sans entrer dans les détails, on peut dire que le système électoral brésilien est fait, sur le papier, pour garantir l’égalité de traitement des États fédérés. Chaque État, quelque soit son poids démographique, dispose de 3 sénateurs pour le représenter.

En outre, les formations politiques se comptent par dizaines et il n’y a aucun plafond à atteindre pour avoir droit à une représentation nationale. Pour complexifier davantage les choses, le Parlement fonctionne marginalement sur une opposition classique droite/gauche, chaque député étant clairement affilié à un lobby bien plus qu’à une idéologie.

Les votes des députés fluctuent donc en fonction des intérêts économiques qu’ils défendent. On pourrait même dire que leurs votes changent en fonction des intérêts économiques qu’ils sont payés pour défendre politiquement, tant la corruption est la conséquence directe d’un telle organisation.

Les Brésiliens, dans une écrasante majorité, ne s’y trompent guère : pour eux, mis à part Lula, tous les représentants politiques sont des voleurs… Le nombre aberrant de scandales ne leur donne pas tort. En 2010, plus du quart des sénateurs brésiliens faisaient l’objet de procédures judiciaires pour corruption. Ce qui explique en parti pourquoi Lula da Silva, juste après la dictature, bien qu’étant le député le mieux élu du Brésil, n’a jamais souhaité renouveler l’expérience du Parlement.

Un autre effet pervers de ce système électoral est qu’il favorise conservatisme et pouvoir dynastique des grandes familles brésiliennes. Pour le dire clairement, un système électoral basé sur la représentation des lobbys économiques interdit par nature toute tentative de réforme agraire et favorise le maintien des oligarchies locales.

Le PT de Lula a donc été obligé de contracter des alliances inattendues au niveau fédéral, notamment avec des partis de centre-droit. L’électorat sacrifié sur l’autel du compromis est sans aucun doute celui issu du Mouvement des Sans-Terres (qui rassemble plusieurs millions de militants).

La réforme agraire annoncée n’a en effet pas eu lieu. Pire que cela, le Brésil de Lula da Silva s’est résolument lancé dans une politique d’agrobusiness avec pour fondement la culture intensive d’OGM (soja) et le développement des agrocombustibles (canne à sucre) et pour corollaire des désastres sociaux et environnementaux.

Le Président Lula et la pression de Wall Street

Il y a derrière cette politique un indéniable reniement à la ligne du PT de 1980 : Lula da Silva a clairement favorisé la stabilité macroéconomique et les intérêts financiers au détriment de réformes sociales structurelles promises.

lula6bC’est un élément de continuité avec la politique néolibérale de son prédécesseur, Fernando Henrique Cardoso, déjà perceptible dans la « lettre aux Brésiliens » que Lula distribua quelques mois avant sa première élection.

Il s’agissait alors de « rassurer les marchés financiers », selon l’expression consacrée, qui voyait d’un très mauvais œil l’arrivée au pouvoir de ce leader de la gauche radicale qui clamait depuis 20 ans sa volonté à cesser le remboursement des dettes contractées par le Brésil auprès des banques occidentales (notamment les banques américaines du Citygroup).

Le PT a, en outre, longtemps envisagé d’effectuer un audit des emprunts contractés par le Brésil depuis 1932, ce qui promettait de mettre en lumière le rôle actif des banquiers de Wall Street dans la corruption du pays…

L’intense pression de Wall Street (qui venait de concéder un prêt de 30 milliards de dollars au Brésil) conjuguée aux apories de la représentation nationale brésilienne ont finalement eu raison de la ligne politique originelle de Lula.

Ainsi, aussitôt élu, Lula da Silva se déclare favorable à l’indépendance de la Banque Centrale du Brésil et nomme à sa tête Henrique de Campos Meirelles, ancien banquier de Citygroup et sans doute le banquier le plus réactionnaire et unanimement détesté du Brésil.

Pour faire contre-poids à cette nomination, Lula da Silva nomme à la tête du Ministère de l’Économie et des Finances son ami et ancien médecin trotskiste, Antonio Palocci. Toutefois, une des premières mesures de ce dernier sera d’augmenter le superavit de la dette de 3,75 % à 4,25 % sans même toucher aux taux d’intérêts stratosphériques que les capitaux étrangers affectionnent particulièrement (car ils permettent de spéculer sur la dette avec un minimum de risque).

Le FMI est ravi. Mais Lula da Silva aussi peut s’estimer satisfait. A la fin de son second mandat il déclare :

« Quand je suis arrivé au pouvoir, le Brésil avait 30 milliards de dollars de réserves, dont 16 milliards qui appartenaient au FMI, ce qui veut dire qu’en vérité, nous n’avions que 14 milliards de dollars. Nous avons rendu au FMI ses 16 milliards, nous avons remboursé le Club de Paris, et nous avons aujourd’hui pratiquement 200 milliards de réserves. »

Lula da Silva a donc joué le jeu d’un libéralisme dicté par les banquiers d’Occident. Mais ça ne suffit pas à catégoriser sa politique comme telle. Là où son action dans l’économie nationale tranche avec celle de son prédécesseur, c’est certainement sur la présence de l’État dans l’orientation de l’investissement productif.

Bien loin des conceptions en vogue d’un État sommé de disparaître, comme c’était le cas dans les années 1990, l’État brésilien sous Lula da Silva a joué pleinement un rôle de régulateur en orientant l’activité économique dans certains secteurs stratégiques, notamment dans le secteur de l’énergie, de la construction navale et des infrastructures de transport.

L’investissement public est ainsi passé de 0,5 % à 5 % du PIB avec en plus des incitations fiscales aux entreprises pour qu’elles augmentent très sensiblement leur part dans l’investissement productif au lieu d’utiliser leur argent à spéculer en bourse. Cela a brisé la spirale de la désindustrialisation amorcé dans les années 1990 et relancé l’économie brésilienne.

« Bolsa familial »

Mais ce qui donne tout son cachet au bilan de Lula da Silva, outre son habilité économique reconnu du patronat brésilien aux banquiers de Wall Street, c’est certainement la pertinence des programmes mis en œuvre au profit des Brésiliens les plus démunis.

A ce titre, le programme « bolsa familial » est un franc succès. Son objectif est à terme d’éradiquer l’extrême pauvreté et d’une manière générale, d’assumer une alimentation adéquate aux populations les plus nécessiteuses par le renforcement de l’agriculture familiale, l’organisation productive des communautés et le microcrédit.

« Bolsa familial » consiste en une allocation variable (30 euros par mois en moyenne) qui a été distribué à 52 millions de personnes en 2010. 30 euros, cela n’a l’air de rien, mais dans un pays où en 2003, 119 millions de Brésiliens survivaient avec moins de 100$ par mois, cela change énormément de choses.

Aussi, 30 euros d’aide pour un pauvre, ça ne le sort pas de la misère et ce n’est donc en aucun cas une incitation pour eux à rester sans activité économique formelle. Il n’y a guère que dans de rares monarchies pétrolières d’Europe du Nord qu’un système d’aide sociale inconditionnelle puisse avoir un tel effet… Mais au Brésil, 30 euros d’aide c’est ce qui peut permettre de manger à sa faim sans fouiller dans les poubelles :

« La sous-alimentation sévère et chronique détruit lentement le corps. Elle l’affaiblit, le prive de ses forces vitales. La moindre maladie le terrasse ensuite. La sensation du manque est permanente.

Mais les plus terribles des souffrances provoquées par la sous-alimentation sont l’angoisse et l’humiliation. L’affamé mène un combat désespéré et permanent pour sa dignité. Oui, la faim provoque la honte. Le père ne parvient pas à nourrir sa famille. La mère reste les mains vides devant l’enfant affamé qui pleure.

Nuit après nuit, jour après jour, la faim diminue les forces de résistance de l’adulte. Il voit venir le jour où il ne pourra même plus errer dans les rues, fouiller les poubelles, mendier ou s’adonner à ces petits travaux occasionnels qui lui permettent d’acheter une livre de manioc, un kilogramme de riz, de quoi sustenter – toujours médiocrement certes – sa famille. L’angoisse le ronge. Il va en haillons, les sandales élimées, le regard fiévreux. Il voit son rejet dans le regard de l’autre. Souvent les siens et lui-même en sont réduits à manger les détritus tirés des poubelles des restaurants ou de celles des maisons bourgeoises. »

[Ziegler, 2006]

lula14Lula da Silva n’a pas simplement servi la soupe aux pauvres: il a rendu sa dignité à 28 millions de Brésiliens. En outre, ces aides directes aux familles sont ancrées dans un dispositif de politiques sociales tout à fait cohérent.

Par exemple, la mère reçoit de l’argent pour son enfant seulement si ce dernier prouve qu’il est scolarisé et à jour dans ses vaccinations. Des contrôles médicaux sont régulièrement organisés (selon l’UNICEF, en 2003, 9,5 % des enfants brésiliens de moins de 10 ans avaient une taille anormalement petite pour leur âge, conséquence d’une sous-nutrition). L’allocation est créditée sur le compte de la mère plutôt que sur celui du père, pour limiter sa conversion en litres de cachaça…

Cet afflux d’argent, aussi modeste qu’il puisse paraître, à un effet très positif sur le commerce de proximité (alimentaire et vestimentaire) renforcé par des incitations fiscales aux administrations territoriales afin qu’elles organisent sur leur territoire des marchés locaux, des banques alimentaires et autres restaurants populaires qui favorisent les productions locales.

Le programme bolsa familial et ses composantes ont aussi permis de réduire l’exode rural en favorisant la structuration d’un marché intérieur d’économie sociale et solidaire. Cela n’a pourtant pas affecté la structuration profondément inégalitaire du Brésil où 1 % des plus riches concentrent autant de revenu que les 50 % les plus pauvres.

Mais cela ouvre les portes vers l’avenir et d’une manière générale, renforce la démocratie par la promotion de l’inclusion sociale.

Car comme disait Jacques Roux lors de la Révolution Française:

« La liberté n’est qu’un vain fantôme quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme quand le riche, par son monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La révolution n’est qu’un vain fantôme quand la contre-révolution s’opère, de jour en jour, par le prix des denrées, auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. »