Quilombo et irrédentisme aujourd’hui

Un quilombo est initialement un campement d’esclaves fugitifs. Par extension, la constitution de 1988 offre à leurs descendants la possibilité de s’approprier les terres qu’ils exploitent, ce qui provoque des conflits.

Le gouvernement fédéral brésilien estime à deux millions les populations rémanentes des quilombos et à trente millions d’hectares la surface qu’ils sont en droit de réclamer. Pour donner une image plus concrète, il faut s’imaginer deux millions de personnes demandant la possession d’une terre disséminée dans tout le Brésil ayant la superficie de l’Italie.

En 2006, il y avait déjà 2146 zones recensées comme étant rémanentes de quilombos. 659 communautés avaient constitué un dossier pour faire valoir leurs droits mais seulement 67 ont reçu un titre de propriété, soit à peine plus de 10% des demandes.

En 2012, l’INCRA avait émis 121 titres de propriété couvrant une surface cumulée d’un peu moins d’un million d’ hectares. Cela concerne 11 946 familles répartis en 190 communautés qui peuplent 109 territoires.

Qu’est-ce qu’un quilombo ? Qu’en dit la loi ?

Les quilombos sont des sociétés paysannes. L’activité économique de ces sociétés solidaires reste pour l’essentiel inscrite dans un système social dominé par des rapports d’inter-connaissances, de parentés et de voisinages. On y pratique la polyculture, l’élevage et la limitation consciente des besoins pour mieux limiter l’endettement.

L’unité de ces territoires se crée ainsi par voie associative. La terre est collective, les profits de la production agricole et de l’artisanat sont mutualisés et les rares équipements (voiture, moto…) sont à l’usage de tous.

Ces territoires disposent d’une autonomie relative garantie par la loi, soucieuse de conserver les particularismes qui structurent ces sociétés.

ARTICLE 215: L’État garantit à tous les pleins exercices des droits culturels et leur égal accès à la culture nationale, il appuiera et incitera à la valorisation et la diffusion des manifestations culturelles.

§ 1°. L’État protège les manifestations des cultures populaires, indigènes et afro-brésiliennes, et des autres groupes participant au processus de civilisation nationale.

§ 2°. La loi disposera et fixera des dates commémoratives de hautes significations pour les différents groupes ethniques de la nation.

Article 68 des ADCT (Actes de Dispositions Constitutionnelles Transitoires): Les communautés rémanentes des quilombos qui occupent leurs terres sont reconnus comme propriétaires définitifs, à charge de l’État d’émettre les titres respectifs.

Ces articles constitutionnels se traduisent par la création de nouvelles institutions parmi lesquelles un ministère et la Fondation Culturelle Palmares (1992) chargée de faire respecter l’article 215. C’est également cette fondation qui centralise les demandes des communautés, les évaluent et les dotent de titre de propriété foncière le cas échéant.

Exemples de conflits agraires

1) Conceição da Barra

La fazenda de la dona Aracuz est localisée à Conceição da Barra dans l’Etat d’Espirito Santo (un minuscule Etat au Sud de la Bahia). Son domaine s’étend sur plus de 60 000 hectares où sont exploités uniquement des eucalyptus en vue de la production de cellulose. Dona Aracuz est d’ailleurs la plus grande productrice de cellulose au monde; ce qui fait d’elle une des plus grandes exportatrice du pays.

Avec la collaboration des groupes Safra, Lorentzen, Vorantim et la BNDES (Banque Nationale de Développement Economique et Social) dona Aracuz a réalisé en 2005 un profit estimé à 1,17 milliards de R$, ce qui représentait environ 15 % du PIB de l’État d’Espirito Santo.

Le problème, c’est que la fazenda est érigée au milieu de terres litigieuses : des communautés noires en revendiquent une partie.

En juillet 2006, ils occupèrent illégalement durant une semaine une partie de la plantation et abattirent neuf hectares d’eucalyptus. Avant de quitter les terres pacifiquement, ils laissèrent une immense croix en bois pour signifier que sous le profit et les eucalyptus il y a le cimetière de leurs ancêtres.

2) Nossa Senhora do Livramento

Fin août 2006 à Nossa Senhora do Livramento (Mato Grosso), 5 maisons à l’intérieur d’une communauté noire de 500 familles furent incendiées.

On impute ces incendies criminels à des représailles de la part des fazendeiros mécontents du transfert de douze mille hectares de terre à cette communauté reconnue comme rémanente de quilombo.

3) Kalunga, Goias

Kalunga, dans l’État de Goias, est un des quilombos les plus emblématique du Brésil. Lula lui-même l’a visité il y a quelques années. Nous devons à Ana Van Meegen Silva une magnifique monographie sur ce territoire.

Ce qui vaut à Kalunga une telle reconnaissance c’est d’abord son histoire particulière : c’est une communauté qui a vécu en quasi-autarcie pendant plus de deux siècles, entretenant des contacts sporadiques avec les commerçants des villes avoisinantes. C’est l’anthropologue Maria de Nazaré Baiocchi qui l’a “scientifiquement” découvert en 1982.

Aussi, ce qui distingue Kalunga c’est sa forte population (7000 habitants) et l’étendue des terres réclamées : 250 000 hectares ! Ce qui implique la plus grande partie des municipalités de Cavalcante, Teresina de Goias et Monte Alegre.

En 1995, la Fondation Palmares a émis un titre de propriété sur le territoire de Kalunga couvrant une zone de 237 000 hectares et l’instituant comme site historique et patrimoine culturel. Néanmoins, près de 50 fazendas occupent la moitié de ces mêmes terres depuis près d’un demi-siècle et notamment les terres les plus fertiles.

Le problème, c’est que cette loi ne prévoyait en aucun cas d’indemniser les 50 fazendeiros. Elle considère donc les propriétaires terriens comme autant d’usurpateurs.

Les propriétaires, n’ayant pas la moindre intention de quitter des terres, qui plus est sans la moindre compensation, se mirent à tyranniser les Kalungeiros. Ils leurs interdisent de planter des cultures vivrières ou de faire paître leurs bêtes car ce sont des signes de possession de terres.

De sorte que bien des Kalungeiros vivent dans la misère, affamés et parias sur leurs propres terres, parfois mêmes menacés de mort par des fazendeiros qui les accusent d’envahir leurs terres. C’est ce que raconte un sexagénaire, Eugênio Pereira das Virgens:

« Ils

 

[les fazendeiros] ont déjà tué deux mules et soixante de mes poules, ont mis le feu à la maison de mon frère, saccagé la maison de mon fils et ils ont même tenté de m’abattre. ».

Au final, les plus jeunes quittent leurs terres ancestrales.